Aussi dingue que cela puisse paraître, bien des gens réfléchissent à une nouvelle économie du partage, et encore plus surprenant, ils ne sont pas tous drogués.
Si on arrive un jour à sauver ce monde de la folie mercantile, ou au moins à réformer nos archaïques droits d’auteurs, nul doute que Pouhiou fera parti des précurseurs en la matière. Plus une discussion qu’une interview, voici donc quelques échanges que nous avons pris le temps de réaliser en ping pong sur un document … partagé.
Bonjour Pouhiou, je viens de voir à la seconde que ton projet de crowdfounding est tout juste bouclé. Tout d’abord félicitations et je dois dire que je suis un peu étonné. Pour résumer un peu la chose, si j’ai bien compris tu as demandé aux fabuleux gens connectés de financer l’édition d’un livre physique en papier polluant à destination du vieux monde pour pouvoir distribuer gratuitement IRL à des gens du dehors des exemplaires de ton oeuvre pour laquelle tu ne sollicites aucun droit tenant à la propriété intellectuelle.
Ai-je bien compris? 🙂
Écoute je ne l’aurais pas mieux résumé moi-même ! Et merci, BTW. J’ai beaucoup d’ami-e-s qui ne jurent que par le papier (roh les vilains conservateurs qui refusent ces objets électroniques dûment fabriqués par des esclaves chinois !) D’autres personnes voulaient soutenir mes oeuvres, ma démarche, par un acte d’achat. Je me suis dit que j’allais hacker tout cela (mais juste parce que c’est un terme à la mode). J’ai donc proposé ce crowdfunding étrange où chaque “achat” du tome II (d’ebooks, de clé USB et/ou de livre) se transforme en financement d’exemplaires papier du tome I qui seront gratuitement distribués. plutôt que de vendre mon livre, je propose de soutenir un partage. C’est aussi paradoxal que de mettre son roman dans le domaine public et de toucher 3€30 par livre acheté, non ?
“Soutenir le partage”, si tu le permets j’aimerais m’engouffrer dans cette promesse vertigineuse pour tous les utopistes, connectés ou non. Le combat pour la fin de la tyrannie des droits d’auteur est pour moi essentiel. Je n’ai pas de solution prémâchée mais je ressens profondément que le #copyrightmadness ambiant est un larsen politico-economique majeur. Je voudrais donc creuser une chose: quel est ton objectif profond? Que veux tu (dé)montrer sur les histoires de propriété? Et pour cela je voudrais te demander en préambule: de quoi vis tu? Es tu écrivain ou est-ce un activité “annexe”?
Je vis d’un revenu de base artisanal : les ASS ! J’ai écrit ces romans pendant que je touchais des assedics d’un ancien boulot. Là, j’en suis à l’allocation qui arrive juste avant le RSA… Je sais plus où j’ai trouvé les chiffres (qui me semblent être ceux de l’AGESSA, la sécu des auteurs) mais on sait que seul-e-s 10 à 15 % des auteur-e-s vivent de leurs droits. La plupart des autres écrivent parce que notre société leur laisse encore un peu de temps. Retraite, profs, chomdu, rentiers… des gens qui ne sont pas tout le temps productifs, ça existe encore ! Peu d’auteurs vivent de leurs droits, alors qu’on ne vienne pas les prendre en otage.
Le plus drôle, c’est qu’on n’a pas besoin de “protéger” quoi que ce soit pour toucher des droits. Il suffit juste d’avoir un éditeur éthique. Regarde-moi : mon livre est libre, tu peux le vendre et ne rien me devoir. Framasoft le vend. Mais ils ont décidé et d’être cools et de bosser avec moi. Du coup on a un contrat, je touche 15 % sur le prix de vente (là où les méga-stars de l’édition doivent toucher un gros 12 %). C’est un montage légal tout simple : il suffit de ne pas être exclusif et d’accepter que l’oeuvre soit libre.
C’est là le noeud du truc : mes oeuvres sont libres par essence. Quand j’écris tous les jours, je suis mis face à l’inspiration. Je vois comment ça vient. C’est un ventre qui se nourrit de tout. Comme ton rêve qui digère tout ce qui a pu se passer dans ta vie, dans ta journée. Comment peut-on s’imaginer pisser au quatre coins d’un rêve pour dire qu’il nous appartient ? Quand tu lis mon livre, c’est ton cerveau qui fait tout le boulot. Tu recrées les décors, les persos, l’action… tu compiles le programme ! Un peu comme quand tu donnes une forme à un nuage en le regardant. Et j’irais mettre un péage entre ce nuage et toi ?
C’est pas honnête. Quand on y réfléchit bien “propriété intellectuelle” ça sonne aussi fourbe que “tirs amis”, “frappes chirurgicales” ou que “l’argent travaille” non ?
Du coup, j’essaie d’être honnête avec ce que mes oeuvres sont. Et de trouver comment cela peut m’aider à subsister, si ça se peut…
pardon de t’attirer plus sur le terrain politique que littéraire mais je ne sais pas lire 🙂 Ton projet a-t-il vocation à faire du bruit ponctuellement pour faire bouger les lignes, pour provoquer des réflexions sur la problématique des droits d’auteurs ou bien envisages tu la vie ainsi. Te reconnaîtrais tu par exemple dans un schéma de Revenu de Base avec possibilité de faire un peu de revenus supplémentaires grâce à tes créations via des ventes ou des dons, sans que ce soit la condition nécessaire à ton écriture? Je précise que je ne profite pas de l’occasion pour faire gratuitement de la pub à une idée que je soutiens, mais tout ce que tu racontes m’évoque furieusement cette émancipation, une sorte de liberté d’écrire sans la pression du quotidien et la corruption de l’âme qu’elle peut induire 😉
Ne t’excuse pas, c’est pas de ta faute : c’est vers là que la conversation nous a mené. Et oui : c’est ainsi que j’envisage ma vie… Ou plutôt c’est ainsi que la vie m’envisage ! J’ai assez vite pris conscience de ces forfaits qu’on se traîne au pied comme des boulets : loyer (ou traites), énergie, chauffage, bagnole ou transports, téléphone, internet… T’as pas commencé à bouffer la moindre feuille de salade qu’il faut avoir payé tout cela… Depuis quand la vie est-elle sensée être a crédit ? À quel moment a-t-on abdiqué pour que chaque nouvelle journée de vie nous coûte X euros ?
Quand j’ai commencé le blog www.noenaute.fr, le défi était clair : écrire chaque jour, 5 jours par semaine (un épisode du lundi au jeudi + un bonus débreifing le vendredi). Mimer le “bon travailleur” en conservant mon statut de parasite, d’artiste vivant de la solidarité commune. Cette lubie m’est venue comme une provocation, après une discussion de Noël avec mon cousin de 18 ans. Le mec m’affirmait qu’il s’autorisait (pendant les vacances) à faire la teuf chaque week-end parce qu’il bossait au Mc Do durant la semaine. 5 jours de pénitence, 2 jours de récompenses. J’ai eu envie de lui proposer autre chose 😉
Après, le revenu de base, le financement collaboratif (sans oublier la contribution créative, qui rémunérerait la création amateure comme la professionnelle) sont des idées desquelles je me suis rapproché… Mais cela s’est fait par la suite, comme une évidence, une conséquence. J’ai juste compris que je n’ai qu’une vie. Que si je dois mourir, autant que mon temps compte. Raconter les histoires que je crée me parait plus important qu’obtenir des fiches de paye… Et les lecteur-trice-s me donnent raison : depuis début février, en ne comptant ni mes heures ni ma passion, j’ai accumulé 2200 € de soutiens ! Bon, au final j’en toucherai qu’un peu plus du dixième, mais c’est plus beau qu’un “chiffre d’affaire”, non ?
oui, symboliquement c’est fort. Encore bravo. Comment ressens tu cette adhésion? Soyons clairs, tu as 57 soutiens, c’est à la fois énorme et très peu. Ca se sont les gens qui ont mis la main au portefeuille. Mais en considérant tout ce que tu as vécu dans cette aventure, comment ressens tu la société? Certains diront “Tout ça c’est bien joli mais ce n’est ce qu’un feu de paille d’activistes”. As tu la sensation que Mr Toutlemonde est un peu réceptif à la cause? J’imagine que tu en a parlé beaucoup autour de toi, pas seulement aux gens connectés. Quels sont leurs réactions?
Elles sont très variées, tu t’en doutes… Ce qui est amusant, ce sont les gens qui balayent le truc d’un “c’est mignon”, sous-entendant que je vis au pays des bisounours. Car je sais parler leur langage. Leur dire que l’argent est dépassé. la vraie valeur aujourd’hui, dans un système dématérialisé, ce n’est pas le prix. C’est l’attention. Donc le temps de vie que l’on donne aux choses. Google et Facebook captent ton attention et la monétisent sous forme de publicité ou de données récoltées. Wikipédia ou Framasoft sont plus classes : il te proposent de nourrir ton attention et de les soutenir si tu le veux et le peux. Quand tu détailles ces modèles à des “vrais gens” qui soi disant vivent dans la “vraie vie”, ils s’apperçoivent qu’on n’est pas si loin du film Time Out : l’argent n’est qu’une conséquence de l’attention gagnée.
Du coup, les gens voient que ni eux ni moi ne vivons au pays des bisounours. C’est vraiment une réaction que je rencontre de plus en plus : la compassion. Des “mais comment tu fais pour vivre ?”. Des “mais qu’est-ce qu’il faudrait changer pour que tu puisses vivre, pour que d’autres puissent faire comme toi ?” M et Mme ToutLeMonde se rendent de plus en plus compte que chercher une utilité à l’humain (tu DOIS être productif) afin de le rémunérer est un principe qui a fait son temps, que ça tient plus debout, et ils cherchent des alternatives.
C’est pour cela que l’expérience que je propose les attire. Je leur dis “on va créer du gratuit ensemble, et pour ce faire chacun va donner de soi”. Les 57 personnes dont tu parles (et toutes celles qui vont les rejoindre) ne m’ont pas acheté mon livre. Les paliers de la souscription n’ont rien à voir avec les prix du commerce. Ces personnes ont fait un don pour soutenir une démarche, et recevoir en échange mes romans sous forme d’objet.
Ce feu de paille, il sert aux gens à apprendre comment on allume un feu. Alors peu importe la taille et la durée des flammes. Par contre, avec tous les retours que j’ai, tous les lecteurs qui m’envoient des messages (il y a quand même eu plus de 1000 téléchargements pour le livre I), je me dis que ces flammes font de plus en plus de bruit…
J’essaye de me faire l’avocat du diable mais je suis bien proche de tes opinions. Depuis assez longtemps je passe comme beaucoup par des phases de découragement parce que dès qu’on sort le nez de la communauté qui partage nos idées “différentes”, on se le cogne sur l’immensité de la tâche, sur la solitude du petit nombre. Pourtant il me semble aussi pour la première fois que des oreilles du dehors sont moins sourdes à nos “fadaises”. Que ce soit sur la démocratie, sur l’économie, le diktat du vieux modèle.
Tu dis que tu a 1000 lecteurs pour ton livre, ça fait du 6% de soutien actif, c’est déjà un super score 🙂 Que va-t-il se passer pratiquement maintenant? Quand est ce que l’objet existera IRL?
C’est un très beau score et ce n’est pas fini. Pour #Smartarded, on avait eu une centaine d’exemplaires papier achetés, par exemple… Ce serait bien que la souscription ait autant de soutiens !
Maintenant, je vais être encore plus débordé de boulot. J’ai encore 2 addenda de fin de chapitre et un avant-propos à écrire pour #MonOrchide, alors que l’équipe d’édition est en train de commencer les allers retours correctifs. On a le mois de Mars pour finir tout ça, afin qu’en Avril (si tout va bien !) on boucle le travail d’impression et de création des ebooks et qu’ensuite on envoie les livres aux souscripteur-trice-s. L’idée, c’est de faire un évènement sur Paris à la mi-mai, avec Framasoft, pour la sortie officielle du roman… et la distribution d’exemplaires gratuits !
D’ici là, je veux aussi me pencher sur les marque pages, que je souhaite être de beaux objets, possiblement avec des collaborations artistiques qui me tiennent à coeur, voire peut-être des objets numérotés…
Et puis il y a les clés USB, sur lesquelles on va mettre les ebooks mais aussi le livre Audio de #Smartarded, que je suis en train d’enregistrer dans les studios de Radio FMR (une radio associative toulousaine à l’esprit libre).
Tout cela, c’est sans compter les communiqués de presse à envoyer, les newsletters, les emails auxquels il faut répondre… et les prochaines histoires qui me harcèlent pour que je les écrive !
Bref : comme tu le vois, j’ai pas ce luxe de pouvoir perdre du temps à bosser, moi ^^ !
Parfait, sur cette belle conclusion je te laisse donc à ton oisiveté surbookée 😉 Merci pour cet échange, bonne chance pour la suite et longue vie aux aventuriers du nouveau monde 🙂
A l’instar du grand Calimaq qui a passé son blog en CC0 suite au succès de Pouhiou, cet article est évidemment publié sous cette même licence CC0.
Merci à @HarryPopof pour m’avoir interpellé sur le sujet.
Bravo pour cette belle interview, je poursuis la suite du blog que je ne connaissais pas, j’ai beaucoup le style du rédacteur !
Bises à Pouhiou en passant ;o)
Merci pour cet article génial 🙂
En tout cas moi je share !
Cette open-mindedness, c’est juste trop succulent, encore merci les gars !
J’adore voir ces systèmes « alternatifs » novateurs.
Vous ai-je déjà dit merci ?