Petite réaction à chaud sur cet article Morozov : « Internet est la nouvelle frontière du néolibéralisme » chez L’Obs/Rue89 qui expose quelques fondamentaux que je lis trop rarement. Je me permets d’insister.
Morozov dresse un constat assez radical sur la domination de la Silicon Valley et sa technologie au sens politique du terme, pas juste en simple monopole économique des GAFAM. Il est question de modèle de société, et on se laisse faire.
Mais si je suis pessimiste quant à l’avenir de l’Europe, c’est moins à cause de son impensée technologique que de l’absence flagrante d’esprit de rébellion qui l’anime aujourd’hui.
Comment mieux résumer la chose? Je suis de plus en plus effaré par la soumission de notre pays, et surtout de nos dirigeants. « Oui mais qu’est ce qu’on peut faire, c’est comme ça… »
Non ce n’est pas comme ça. Il n’y a pas de fatalité, il n’y a que de l’abandon, de la reddition, voire de la collaboration. La France sombre dans le racisme, l’égoïsme, la petitesse, la peur et la bêtise, ça commence à me chauffer 🙂 Mais surtout elle s’endort, et pendant ce temps là quelque chose pourrit, quelque chose qui va nous tuer si on ne perce pas l’abcès, si on ne se rebelle pas.
[…] quand on regarde les processus d’individualisation des assurances de santé – où revient à la charge de l’assuré de contrôler ses paramètres de santé –, on s’aperçoit à quel point le marché est seul juge.
L’Etat non seulement l’accepte, mais se contente de réguler. Est complètement oubliée la solidarité, qui est au fondement de la sociale-démocratie.
La solidarité, mais bon sang de bois, elle est où la solidarité? L’esprit du commun, l’intérêt du grand nombre, la fraternité… Quel génie il a fallut à ce libéralisme pour convaincre ses victimes qui claironnent elles même au café du commerce que « on n’a plus les moyens ma bonne dame! ». Toujours privatiser, détricoter cette révolution que fut la sécurité sociale, toujours au profit des mêmes et avec l’assentiment de leurs proies. Nous sommes richissimes. C’est inadmissible que des gens dorment dehors dans un pays si fortuné. Marchais avait raison: il faut aller chercher l’argent là où il est! 🙂
L’exemple de l’assurance est bien représentatif. Que devient l’esprit de mutualité? Mettre en commun, cotiser à une caisse pour subvenir aux besoins de celui sur qui s’abat la fatalité, voilà qui a un sens. Assurer en fonction du risque n’est pas assurer, c’est une logique de banque, comme lorsque tu dois donner ton taux de cholestérol pour emprunter de l’argent. Bientôt nous saurons à l’avance nos prédispositions aux maladies, et donc on va refuser d’assurer un enfant dont on sait qu’il va développer un cancer avant ses 10 ans? C’est ça le modèle de société auquel on aspire? Ce n’est pas humain. Accepter l’aspect aléatoire change tout. Nous barder de capteurs pour sombrer dans le tout analytique est un cauchemar. C’est un choix de société.
Aujourd’hui, la gauche a fait sienne la logique de l’innovation et de la compétition, elle ne parle plus de justice ou d’égalité.
« J’aime l’Entreprise ».
Il faut oser répondre simplement à la question : Google, c’est bien ou pas ?
Et oui, posons nous au moins la question! 🙂
Je mets de côté le passage sur la Neutralité du Net, seul passage où je suis moins d’accord, mais qui mériterait réflexion.
Tout ce qui concerne les données – et qui est essentiel aujourd’hui – n’est évidemment pas dans Marx. Il faut le trouver ailleurs.
Oui il était fort pépère, mais là sur le coup des données… 🙂
Bon je te laisse, et bonne lecture!
Un autre interview plus détaillé sur les « données »
Les entreprises ne doivent pas posséder les données, de la même façon qu’elles ne peuvent pas posséder l’air que nous respirons.
On devrait aborder la question de la propriété de l’information comme on aborde celle de la régulation bancaire. Le mot “Internet” fonctionne comme le mot “marché” ou le mot “économie”. Il recouvre une série d’activités humaines, mais son sens connote un périmètre bien plus large et autonome. Il est important de se rappeler qu’Internet a été bâti de la main de l’homme et qu’il obéit à certains intérêts, il n’est pas immanent. Nous avons tendance à oublier qu’il est composé d’entreprises. »
L’effondrement de nos sociétés est un problème plus important. Il faudrait replacer la vie privée dans un contexte historique, et reformater notre grille de lecture : comment protéger sa subjectivité de l’intrusion du marché ? Nous sommes entourés d’un fil barbelé invisible. Des barrières ont été érigées autour de nous sans notre consentement. Les données que nous semons conditionnent nos choix, et nos décisions sont bien moins autonomes que ce que l’on pense. Elles sont programmées par notre environnement, par exemple l’écosystème publicitaire ultra-calibré dans lequel nous évoluons. C’est comme vivre dans une boucle sans fin. Amazon sait le prochain livre que vous allez acheter alors que vous ne le savez pas encore. »
http://www.telerama.fr/medias/les-gens-de-la-silicon-valley-n-ont-pas-le-temps-de-changer-le-monde,130111.php
Lié, en mémoire d’un sociologue/chercheur, Nicholas Auray, spécialiste des transformations sociales en lien avec l’essor du numérique, qui vient de décéder :
http://mouvements.info/numerique-et-emancipation-de-la-politique-du-code-au-renouvellement-des-elites/
http://ses-perso.telecom-paristech.fr/auray/02_publication.html
sur tous les plans de la vie désormais, un citoyen doit gérer sa vie propre vie à la manière d’un chef d’entreprise : planification minutieuse de la date d’achat du billet de train pour dans 3 mois, sous peine de payer le prix double à Noël pour aller voir sa famille, nécessité d’optimisation minutieuse du choix d’assurance voiture, étude de marché pour de nombreux achats tel que le forfait téléphonique. Calculs complexes pour saisir à quelles aides financières on peut prétendre ou réductions d’impôts…Dans le monde du travail, nous ne sommes plus une personne mais un « collaborateur », le compte personnel de formation, avec toutes ses avancées bénéfiques réelles, est un des leviers par lequel on gère notre valeur marchande sur le marché, pour faire « évoluer sa carrière » pendant toute la vie, et rester bankable.